Carbone 14
Céleste Joly
Valérie Lenders
Hélène Rist
Parmi les formes que peut prendre le carbone, l’isotope 14 est l’exception. Rare, instable, dangereusement radioactif, il est absorbé par le vivant depuis que la vie est vie et se dégrade avec constance depuis que la mort est mort. Par la mesure de ce qu’il reste de lui - la perte de sa dangerosité, on donne un âge à l’objet dans lequel il est retenu prisonnier : le temps est mesuré à l’aulne de l’offensif devenu inoffensif, la trace d’une instabilité passée, d’un danger écarté.
Dans une incarnation de l’idée d’un objet qui sort de l’anodin pour toucher au mystère, le travail d’Hélène Rist s’inspire de formes archaïques, monolithes, fétiches, anthropomorphes, zoomorphes ou amorphes (dans l’acception géologique du terme). Ces informes lient la céramiste à un temps lisible à l’échelle de l’humanité, celui d’une mémoire préhistorique, mais également à la chronologie d’une vie, débusquant la mémoire de l’enfance. En écho, les œuvres de Valérie Lenders explorent le registre mnémonique : les fleurs de céramique des couronnes mortuaires sont figées dans un état de non-vie qui les rend immortelles, mais elles encadrent des miroirs qui nous renvoient à nos respirations, à nos cœurs qui battent. Avec plus de curiosité que de nostalgie, les motifs floraux de ses tableaux empruntent aux papiers peints déchirés leur indiscrétion passée, et l’on brûlerait d’entendre ce qu’ils ont vu du temps de leur jeunesse. Pour Céleste Joly, les choses ont, elles-aussi, une existence propre. A l’aide du dessin, elle spécule sur les trajectoires possibles des objets dans les espaces domestiques, sur les relations entretenues entre eux et avec eux. Parmi ceux-ci, la peluche tient un rôle primordial. Chargée d’un animisme d’une grande intensité, elle est à la charnière entre vivant et non-vivant tant que l’enfant qui la possède et la chérit y croit, tant qu’il en a besoin.
Ainsi sacralisés, enrôlés, les objets montrés par les trois artistes témoignent – comme le fait chimiquement le carbone 14 – que la mort est dans la vie, que la vie est dans la mort.
Laurence Baud’huin